L’ENTREPRISE FAMILIALE… UN MODELE SURPUISSANT !

Pour cette édition, j’ai eu envie d’interviewer Philippe Foucart, CEO du Groupe Technord. Cette entreprise familiale tournaisienne est un intégrateur spécialisé, depuis l’Electricité Industrielle à l’industrie 4.0.

Philippe représente la deuxième génération aux commandes du groupe familial : 400 collaborateurs, présents dans 7 pays, 95M€ de C.A. et où la transmission est un véritable succès avec 94% de gens heureux au travail (Enquête Great Place to Work de 12/20 à laquelle 76% du personnel a répondu).

Rencontre avec ce CEO ancré, déterminé et inspirant.

Quel est l’historique de Technord ?

Une société active dans l’électricité fut créée en 1945 par Gérard Vincent.

Fils d’une mère cabaretière et orphelin de père à 12 ans, Michel Foucart y fut engagé en 1973 comme responsable du bureau électrique. L’entreprise comptait une vingtaine de personnes. Deux ans plus tard, M. Vincent décéda et son épouse proposa à Michel de poursuivre l’activité en tant que Directeur général. Trois ans plus tard, Michel

souhaita racheter l’entreprise et, étant donné ses origines modestes, il mit 10 ans à acquérir la totalité des parts.

C’est donc en 1988 que Technord naquit.

Qu’est-ce qui motivait ton père dans ce rachat ?

Sa raison d’être chaque matin quand il se levait était de créer de l’emploi qualifié et de le valoriser. Il s’est mis sur un rythme de croissance régulier, a bien géré par paliers : l’effectif est passé de 20 salariés à 120, puis de 120 à 200, puis de 200 à 300, etc…Il n’a jamais fait de folies, n’a pas racheté de sociétés, ni recruté quand il ne fallait pas ; il a toujours agi en « entrepreneur » en essayant de préparer au mieux l’avenir.

L’entrepreneuriat t’attirait-il ?

Vers l’âge de 53 ans, mon papa a pensé à sa succession. J’avais 15 ans à l’époque. Aucune de mes trois sœurs n’était dans le business et mon père a créé une Fondation de droit hollandais où chacun des 4 enfants a reçu un quart des actions sans droit de vote, ni de gestion.

Puis, j’ai fait des études de gestion car c’était inné. Tout ce que je savais c’est que je ne voulais pas travailler dans le Groupe avant au moins 10 ans car je voulais faire mon expérience ailleurs. Pour mon mémoire de fin d’études, j’avais choisi comme thème le management socio-économique car ça m’intéressait déjà beaucoup. Mon promoteur m’a dit de le faire chez Technord et je n’étais pas du tout réceptif à cette idée ! Finalement, il m’a convaincu en me disant que c’était une belle opportunité car j’aurais accès à tout et que j’allais apprendre énormément. Et effectivement, ce fut le cas !

Et au sortir de l’université ?

Avant d’avoir terminé mes études, j’ai été engagé chez Euroclear qui recrutait en masse des jeunes diplômés. On nous installait sur un coin de bureau, on n’était présenté à personne, on recevait une brique à lire pour découvrir notre travail et le fonctionnement de la boîte, on avait un casque sur les oreilles, au téléphone toute la journée pour dire aux clients quelle était la taxe qui était appliquée à leurs transactions boursières. Je n’avais rien contre le fait d’apprendre un métier pour évoluer mais le Manager m’a dit que ce serait ces conditions-là durant minimum 3 ans…j’ai quitté après 10 jours !

Et ensuite ?

Puis j’ai rejoint Randstad Interlabor où j’étais en agence pour accueillir les intérimaires et un peu en prospection commerciale. Là, c’était une chouette expérience car nous étions très bien formés notamment au droit social; l’équipe était très sympa, il y avait une bonne ambiance! Mais je n’avais pas assez de travail: cela me rongeait de devoir attendre qu’un intérimaire rentre dans l’agence pour avoir du boulot !

À ce moment-là mon père m’a dit qu’une des sociétés du Groupe active dans l’isolation et l’étanchéité de toitures, ouvrait un poste de responsable des ventes pour structurer les forces de vente en Flandre, Wallonie et à Lyon. Il m’a proposé de prendre le job si cela m’intéressait. J’ai d’abord refusé en expliquant que je voulais faire ma propre expérience. Entretemps j’ai pensé à mes expériences précédentes où je m’ennuyais et j’ai accepté sans savoir que je n’allais plus en sortir !

Premières impressions ?

J’ai démarré la mission et je me suis rendu compte que directement les gens me voyaient comme le successeur de mon père. C’était à la fois très gratifiant et valorisant car les collaborateurs étaient très ouverts avec moi et m’ouvraient les portes de l’apprentissage ; et en même temps je ressentais de la pression car j’avais 25 ans, pas d’expérience. Je craignais de ne pas aimer ou d’être incompétent.

Et finalement ?

J’ai mené à bien cette mission-là, puis j’en ai assuré une seconde, puis une troisième, et ça me plaisait vraiment bien de travailler chez Technord, pour l’ambiance, pour le caractère familial, les gens étaient vraiment sympas.

Et en 2007, de manière hasardeuse je me suis retrouvé dans une expérience qui m’a définitivement fait balancer vers « je reste, je veux piloter cette boîte et j’ai envie d’être le successeur ».

Quelle expérience ?

Nous avions un prospect à l’époque, le moteur de recherche nr1 au monde, qui construisait son premier Data center en Europe, en Belgique. Ce prospect travaillait avec un bureau d’études américain, qui s’était adjoint un bureau d’études liégeois, qui lui utilisait une technologie full Siemens qui était l’un de nos fournisseurs. Siemens

nous a contacté car leurs conditions d’intervention ne convenaient pas au prospect ; on s’est retrouvé sur un parking d’autoroute avec le responsable liégeois et nous avons construit l’offre et le dossier.

Un vendredi à 16h, en pleine réunion de direction sur un gros projet, mon assistante m’interpelle en me disant que je devais être sur le site en question dans les 30 minutes. Impossible pour moi ! Mon interlocuteur au téléphone me dit : « les américains sont là, ils veulent vous voir, ne discutez pas, lâchez tout et venez avec qui vous voulez mais venez ! »

Nous voilà arrivant sur un terrain vague, boueux, un no man’s land avec des barrières et une baraque de chantier ! Nous sommes accueillis par le responsable belge et par un américain, le patron du bureau d’études US qui se met à me poser des questions sur notre organisation : « si demain je vous demande 100 personnes de plus, vous pouvez le faire ? Comment formez-vous vos gens ? Avez-vous un syndicat ? » Puis il me dit : « je vous envoie le contrat et vous signez demain ! »

Et Technord a signé ?

Le samedi, on reçoit le contrat avec … une responsabilité illimitée ! Les discussions contractuelles ont duré 2 mois ! L’offre représentait la moitié de notre C.A. de l’époque. Une partie de l’équipe était favorable au dossier et l’autre trouvait que c’était trop risqué. Le CEO de Siemens nous a proposé de faire appel au meilleur cabinet d’avocats en la matière pour gérer le contrat en parité. Nous sommes allés aux États-Unis pour les rencontrer, nous avons beaucoup discuté avec les entrepreneurs américains et nous avons décroché la commande !

Bravo ! Et la suite ?

Puis la question était : qui va piloter la mission ? Un administrateur a dit : « Philippe est légitime car il a bossé sur le dossier et avec le lien familial, il sera un relais fiable. »

Et toi, qu’en pensais-tu ?

Moi je voulais le faire aussi car c’était une opportunité magnifique. J’ai donc piloté le dossier de 2008 à 2010 comme Chef de projet. J’étais sur le site tous les jours ; on est monté jusqu’à 200 personnes sur le chantier, c’était une expérience extraordinaire !

Un fameux « boost » pour toi…

Début des années 2000, mon père avait souhaité s’impliquer dans des mandats d’associations professionnelles et citoyennes. En 1999, il avait déjà nommé un Directeur général, puis un second, mais cela n’a pas bien fonctionné.

Avec cette mission, pour le Groupe Technord, je devenais légitime par ma capacité à gérer un projet au-delà de mes autres missions en finance, logistique, vente que j’avais assurées auparavant.

A partir de 2008, quand on a vu que j’avais acquis des compétences et que j’avais l’envie, on m’a proposé la direction générale. En 2010, je suis devenu CEO.

Ton père t’a-t-il formé personnellement ?

J’ai travaillé avec des coaches et des collaborateurs qui avaient beaucoup d’entrain et de fierté à partager leurs connaissances pour me former. Mon père avait compris que j’avais besoin de mon autonomie et il savait que ce n’aurait pas été bon que je ne sois formé que par lui.

Comment vous êtes-vous organisés tous les deux ?

Au début nous avions des réunions toutes les semaines, puis deux fois par mois, puis mensuellement. Quand je suis devenu DG, mon père a eu la méga intelligence de s’effacer de l’opérationnel. Et de participer à des choses où il était légitime qu’il soit comme les assemblées du personnel par exemple. Moi, je parle plutôt de l’opérationnel et lui des valeurs, de la vision.

Intervenait-il dans tes décisions ?

Jamais il n’a contredit les décisions prises alors qu’il était encore Président du Conseil d’administration. Nous avons mis en place un Conseil d’administration qui a prolongé ce qui avait été fait par lui dans le passé. Ce choix de mode de fonctionnement est proche de l’idéal.

Les clés d’une transmission réussie selon toi ?

1. J’ai suivi une formation avec ma sœur à l’IMD en Leading Family Business à Lausanne avec des entreprises familiales originaires du monde entier: les challenges sont communs à toutes les boîtes familiales, sans exception! L’intelligence de mon père est d’avoir lié ses actes à sa décision de céder. Pour moi, c’est le secret nr 1. Si le père est toujours présent, s’il voit le personnel en direct et s’il remet en question les décisions de la génération suivante, c’est ingérable !

2. C’est mettre en place des concertation/discussion/dispute en dehors des opérations via des conseils d’administration, même avec des personnes extérieures si nécessaire.

3. Chacun doit avoir des zones de responsabilité clairement définies.

4. Je pense qu’il faut avoir l’humilité de se faire conseiller par des gens qui peuvent aider, aussi en cas de conflit, et se dire qu’on ne détient pas la vérité. Il y a toujours plus dans plusieurs cerveaux que dans un seul !

5. 80 % de ce que nous faisons au niveau humain existait du temps de mon père : se rassembler, boire un coup…comme dans une famille ! J’ai maintenu ce qu’il a réalisé et amélioré certaines choses car la vie évolue !

6.L’humain! Il faut que les gens se sentent bien pour avoir des résultats et il faut des résultats pour que les gens se sentent bien. Cette vision fut mise en place en 1994 par mon père et nous continuons à l’optimaliser.

7. Dialoguer, communiquer, se parler. Par exemple, mon père a accepté de casser le modèle de la Fondation familiale. Il a accepté il y a 4 ans que ma sœur administratrice et moi rachetions les parts à nos deux autres sœurs. Il a donc accepté de perdre ses actions, de ne plus avoir de droit de vote, ni de pouvoir. Il a eu l’intime conviction que pour la pérennité de Technord, c’était judicieux de faire cela plutôt que de continuer à quatre avec des intérêts divergents et potentiellement des points de vue divergents, ce qui n’est pas bon pour le business. Je pense que c’est très intelligent de la part de celui qui transmet de se mettre dans le meilleur scénario possible pour que ça marche au mieux.

Tu t’imagines à sa place dans quelques années ?

Ce n’est pas évident car cela demande de s’effacer. Mon père dit: «je suis passé de l’acteur sur scène au souffleur!» Il avait plein de projets en dehors de Technord, il a développé énormément de choses pour la Wallonie picarde mais quand je vois l’énergie qu’on y met, la place que l’entreprise prend dans notre vie quotidienne… ce vide énorme du jour au lendemain ne doit pas être évident du tout.

Comment envisages-tu la relève ?

Dans les business familiaux, il y a les actionnaires, les membres opérationnels dans le business et les membres de la famille. Certains peuvent jouer plusieurs rôles et chacun a une place dans la sphère. Pour moi l’éducation passe par l’information.

Avec nos enfants, dès 12 ans, nous leur donnons une mini formation de ce que nous faisons chez Technord. Et à partir de 16 ans, c’est une réunion par an où nous expliquons les challenges. Attention, le but n’est pas de leur expliquer les comptes de résultats, ni de leur faire croire que c’est le jackpot et qu’ils n’auront plus rien à faire de leur vie… ni de leur faire peur !

Comment éviter les conflits entre les membres de la génération future ?

En troisième génération, je pense qu’au plus ils passeront à huit des bons moments entre eux, au plus ils auront de la chance que ça se passe bien. Je connais plein de situations où ça s’est mal passé entre les générations pour des tas de raisons, en ce compris les incompétences. Pour moi, ils doivent :

1. Avoir envie

2. Être compétents car il y a trop d’enjeux que pour mettre en danger 400 emplois pour faire plaisir à ses enfants

3. Avoir des droits, des devoirs et des responsabilités clairs ; c’est à nous à les guider et à les former pour faire en sorte que ça se passe bien.

Envisages-tu une formation spécifique pour eux ?

L’école pour moi ne prépare en rien les prochaines générations et n’est plus adaptée aux jeunes d’aujourd’hui. Plein de gens ont un diplôme et n’en font rien, d’autres n’en n’ont pas et ont explosé dans un projet. Je suis donc pour informer au sens noble du terme afin qu’ils ne soient pas ignorants. Ensuite responsabilisons-les quand ils auront les cerveaux prêts à entendre. Mais je ne les enverrai pas Harvard simplement parce que je voudrais qu’ils reprennent Technord !

Ton message ?

L’entreprise familiale est un modèle surpuissant qui, quand on l’active bien, est un modèle noble à encourager, avec des vrais «pourquoi», des vrais buts, des vrais respects. Quand je vois le sens que les nouvelles générations veulent donner à leur travail, je pense que le modèle familial a un très bel avenir.

https://www.technord.com/

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