Interview de Giles Daoust, 16E Employeur de Belgique

Giles Daoust, CEO du Groupe Daoust, a sorti récemment son nouveau livre « Management! 100 conseils pour les managers qui veulent travailler mieux». Échanges informels avec cet Entrepreneur qui met 12.500 personnes au travail chaque semaine pour évoquer comment tout Dirigeant peut inspirer ses Managers ; et ce que chaque Manager peut appliquer pour inspirer son équipe.

Voici l’interview menée par notre ActionCOACH Nathalie De Cnijf pour l’EcofinMag n°13, dans la rubrique Thé ou Café Management.

L’origine de ce livre est directement liée à ton expérience Giles, n’est-ce pas ?

Oui, cela part d’un workshop que j’ai mis en place pour Daoust, car je me suis rendu compte que certains de nos Managers excellaient sur une partie de leur job et pas systématiquement sur tous les aspects de leur fonction. Notre constat était que ce n’est pas un problème de capacités mais un souci de gestion du temps. Nous étions face à des personnes qui faisaient sincèrement de leur mieux mais gaspillaient tellement de temps dans l’exercice de leurs fonctions qu’elles n’avaient pas le temps de développer de nouvelles compétences.

D’où ces 2 parties importantes que j’ai perçues dans ton livre ?

Effectivement, j’ai d’abord voulu rappeler l’étendue des tâches d’un Manager. Il ne fait pas uniquement de la vente, du people management, de la stratégie,… Il fait face à un ensemble de tâches et responsabilités très variées. Je voulais qu’il y ait une prise de conscience par rapport à cet ensemble, qui induit la seconde partie : donner des trucs et astuces pour dégager du temps et se permettre de faire des tâches que l’on n’avait généralement pas le temps de faire auparavant.

Dans ce cadre, la multitude des outils digitaux est-elle un obstacle ?

Le piège à l’époque actuelle est le tunnel dans lequel on se trouve et la rapidité dans ce tunnel : les e-mails, les réseaux sociaux, les messages, les WhatsApp, … On perd tellement de temps avec tout cela, et ça ne nous rend pas forcément heureux.

Quelle est la place de la formation dans la vie d’un Manager ?

Se former est essentiel. Un des rôles de l’entreprise est de former son Management, même si un Manager ne peut pas se reposer uniquement sur ce que l’entreprise fournit. En entreprise, ce sera toujours une formation liée à la fonction et aux tâches du collaborateur ; c’est normal que l’entreprise paie pour former sur ce qui va servir dans l’entreprise et pas sur autre chose. Certains Managers sont plus actifs que d’autres pour se former aussi en dehors de l’entreprise.

La lecture devrait-elle tenir une place dans l’agenda de chacun ?

La lecture est virtuellement gratuite à travers une multitude de sites gratuits en ligne. 100% des livres du monde sont à la portée de tous, contrairement à il y a 20 ans où tu faisais avec ce que tu trouvais en librairie. Aujourd’hui, le monde est à portée de mains. Pour moi, il faut consacrer du temps à la lecture dans son agenda et ouvrir son esprit pour sortir de sa zone de confort. Il ne faut pas lire uniquement du développement personnel et du management si on est Manager sinon, à un moment donné, la cafetière explose ! Il faut lire de tout. Personnellement, je prévois du temps de lecture le matin chaque week-end et je lis plein de choses différentes : philosophie, biographies, romans, BD, magazines, …

Quel est ton but à travers ces lectures ?

L’objectif est de sentir le monde dans lequel on vit, on évolue, et repérer les tendances. Finalement, c’est un jeu de saut de mouton : un livre fait un rappel à un autre livre, ou à un autre auteur, ou à un autre domaine. C’est infini et au hasard des lectures, je peux trouver une idée pour mon business, ma famille ou mon développement personnel.

Cette ouverture sur une lecture variée n’est pas toujours la préoccupation des managers, si ?

Cela s’est perdu en effet car il y a un eu un peu cette tendance à dire « je n’ai pas le temps de lire », sousentendu « je suis très occupé, je suis important, j’ai beaucoup de choses à faire ». Pour moi, en tant que Dirigeant d’entreprise, ou Manager, tout ce qui est bon pour ton cerveau est bon pour ton entreprise. Car, fondamentalement, tout ce qui t’enrichit d’idées est une idée potentielle pour ton entreprise, pour tes collaborateurs.

Je suis tout à fait d’accord et c’est une chose que j’encourage mes clients à faire : allez voir des expos, sortez, prenez l’air, sortez la tête du guidon pour avoir des déclics…

C’est aussi le principe de la promenade. Beaucoup de grands penseurs et compositeurs de musique classique étaient de grands promeneurs. Assis à leur bureau, ils ne trouvaient pas la solution à un problème mais une fois qu’ils allaient se promener, leur esprit s’éveillait et la solution venait d’elle-même. On dit d’ailleurs « n’y réfléchit pas trop, dors dessus ». Lire est un peu une promenade intellectuelle. Tu voyages d’un livre à l’autre, d’un domaine à l’autre et tu t’éveilles à quelque chose auquel tu n’avais pas pensé, tu enlèves tes ornières

Tu gères 450 collaborateurs et deux entreprises, cette notion de temps fait partie de ton quotidien et relève aussi d’une forme d’évangélisation de ta part, non ?

En effet, pour moi, tout part du temps. 80% des Managers sont débordés et n’ont pas la possibilité d’accomplir leur tâche à 360 degrés. Soit ils décident de travailler 14h/jour, soit ils négligent certains aspects de leur rôle de Manager, car ce serait au prix du sacrifice de leur vie de famille ou personnelle. Je veux donc évangéliser sur la bonne gestion du temps en apprenant à dire non, à poser ses limites pour se libérer du temps et devenir plus « complet ». D’où ce livre avec la publication d’astuces.

Comment fait-on pour gérer ces 360 degrés alors ?

La première chose à faire est de lister l’ensemble des tâches de sa fonction. Et peser ce qui nécessite le plus de temps. Après, il y a des fonctions qui sont tout à fait sédentaires et qui permettent d’organiser son temps de manière plus libre. A contrario, certaines fonctions commerciales demandent de faire du suivi clients et des trajets. D’autres fonctions demandent aussi des déplacements internationaux, qui empêchent un certain nombre de tâches comme des réunions en face to face avec l’équipe. Enfin, d’autres sont saisonnières. Dans toutes ces différentes fonctions managériales, il est possible d’être bien organisé. La clé selon moi: les organiser au jour, à la semaine, au mois, à l’année, sans vouloir forcément s’occuper de tout chaque semaine.

Peux-tu nous parler de ta routine personnelle ?

C’est un point que j’adore ! Ma méthode est de noter toutes les tâches que j’ai à faire sur la semaine/le mois. Je découpe ma semaine en 10 demi-journées et je place les grandes tâches. Si des tâches sont répétitives ou ne rentrent pas dans ma semaine, ou si je n’ai pas assez de place, je vais probablement devoir les déléguer car souvent ce ne sont pas celles où j’ai le plus de valeur ajoutée. On soulage ainsi la pression sur soi, pour dégager du temps et prendre du recul.

Cela me fait penser au livre de Gary Keller « The one thing » avec un focus sur l’Essentiel qui doit représenter 50% du temps…

Oui et ce n’est pas une chose aisée. On ne vit pas dans une bulle. Mon conseil pour s’améliorer en permanence : choisir 10 points de développement personnel sur lesquels travailler pendant une période donnée, et faire en sorte d’y parvenir sur 8 d’entre eux. On en oublie 2 et on en rajoute ensuite 10 autres pour la période suivante. Là nous sommes dans un cercle vertueux et une courbe d’amélioration qui motivent plutôt que de se heurter à des murs. La vraie erreur serait de se dire qu’on doit tout faire rapidement.

Déléguer fait bien partie de l’équation pour travailler davantage sur son entreprise que dedans…

Bien entendu ! Si tu fais tout toi-même et si tu fais tout avec l’envie qu’il n’y ait pas d’erreurs faites par tes collaborateurs, alors ils ne progresseront pas. Si tu délègues de façon intelligente, tes collaborateurs vont faire d’autres tâches , grandir, évoluer … et ton organigramme va se développer. Et tu pourras toi-même évoluer… et ton entreprise aussi.

Quels conseils donnes-tu aux Managers pour mieux gérer l’humain ?

1. Mettre son égo de côté : si on croit qu’on sait tout, ça ne va pas aider. Naturellement, cela dépend de plusieurs facteurs (département, nombre de collaborateurs, degré de spécialisation des collaborateurs, degré d’autonomie, …). Le Manager est le Coach qui va aider le collaborateur à évoluer.

2. Pas de micro-management : si tu veux tout faire ou tout savoir ou faire à la place de tes collaborateurs, ils ne vont pas se développer. La difficulté est qu’il faut laisser les erreurs se produire et les observer avec bienveillance.

C’est une forme de coaching finalement ?

Oui: écouter, ne pas dicter sa loi et poser des questions, lesquelles amèneront les réponses. Si la personne ne trouve pas les clés, ce n’est pas une solution de donner les réponses soi-même en tant que Manager ; mieux vaut alors travailler à améliorer les lacunes. C’est facile d’apporter les solutions directement car c’est plus rapide. Mais il faut se faire violence car les générations actuelles et futures ont besoin de cela. Si on les met dans une boite, en leur disant ce qu’elles ont à faire, sans leur laisser commettre des erreurs, elles cessent de se développer et quittent l’entreprise.

As-tu aussi remarqué ce gap entre la vision de tes anciens collaborateurs et ceux que tu engages aujourd’hui ?

Oui, il y a une différence forte de générations et, depuis le covid, tout le monde s’est posé la question de l’équilibre vie privée /professionnelle. Les jeunes ne sont plus prêts à travailler tous les soirs pour développer leur carrière. Encore une fois, en essayant de limiter les pertes de temps, on l’utilise mieux, on fait mieux son travail, on fait plus de choses et le work-life balance est mieux respecté.

Avec le recul, quel est ton avis sur le télétravail ?

Il conduit à un certain isolement alors que l’esprit d’équipe et les relations humaines sont importants. Il ne faut pas s’enfermer à mon sens. Il faut que tout le monde retourne sur les lieux de travail tout en identifiant les pertes de temps (réunions inutiles). En tant que Manager, on peut diminuer le temps de réunion, le nombre d’intervenants, etc… Chez Daoust, on essaie toujours de faire une analyse des tâches qui prennent trop de temps ou qui sont inutiles, parce qu’on les fait par habitude ou parce qu’on a toujours fait comme cela. D’année en année on s’améliore.

Cette notion d’amélioration continue est reprise dans la philosophie du Kaizen. Comment la mets-tu en œuvre avec tes Managers ?

Voici la technique que j’utilise, bien qu’elle ne soit pas parfaite: dans l’évaluation trimestrielle de mes collaborateurs, je mets toujours des points de développement personnel. Ce point est lié à son trajet de développement de Manager en tenant compte de ce que l’entreprise souhaite de lui et ce que lui souhaite. Lors des des réunions mensuelles, je commence toujours par «qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ?» Mais lors des évaluations trimestrielles, je pars des objectifs fixés pour les évaluer.

Cela signifie-t-il que Daoust essaie toujours de retenir une personne et d’exploiter au mieux ses compétences ?

Il n’y a pas 100% de succès et il arrive qu’on doive se séparer d’une personne, mais généralement c’est parce qu’elle ne correspond finalement pas à nos valeurs («Welcome to the Family + We Love Solutions »). Quand on engage une personne, elle doit correspondre à nos valeurs. Mais on prend à chaque fois un risque car les 2-3 interviews qu’on a eues ne permettent pas toujours d’objectiver tout.

Recruter reste toujours un numéro d’équilibriste malgré l’expérience ?

La guerre des talents étant ce qu’elle est – il y a un turnover important dans le secteur des RH et la génération actuelle est plus «job-hopper» – on n’a parfois pas le temps d’accompagner la personne jusqu’au bon poste car elle part plus vite que le temps de coaching ne le permet. C’est une situation généralisée. Par contre, on constate chez Daoust que beaucoup de personnes reviennent après avoir testé d’autres entreprises.

Une citation qui t’inspire Giles ?

«Tu réprouveras les deux sortes d’hommes, ceux qui se privent toujours de repos comme ceux qui se reposent toujours». C’est de Sénèque, et c’est la citation d’intro de mon livre «Management!»

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